Dans le court métrage Elephant Juice, la chauve-souris réfléchit : « Notre propre expérience fournit le matériau de base de notre perception du monde, qui est donc limitée. » Inspiré de l’essai fondateur du philosophe Thomas Nagel « Quel effet cela fait-il d’être une chauve-souris ? », le narrateur du film paraphrase ce passage pour réfléchir à la probabilité que les systèmes de vision par ordinateur construits par l’homme dépassent un jour la vision du monde subjective de leur créateur.
Elephant Juice se déroule dans une salle de bain et suit un personnage pendant qu’il se prépare pour un entretien d’embauche automatisé. Dans ce nouveau processus de recrutement, les entretiens se déroulent devant la webcam du candidat. Un logiciel de vision par ordinateur analyse le fichier vidéo de l’entretien et étudie les expressions faciales du candidat pour déterminer s’il dispose des qualités recherchées, telles que la fiabilité, la compatibilité et l’assiduité. L’analyse traduit les expressions faciales en émotions selon une cartographie des mouvements musculaires. Le système de codage de l’action faciale (FACS) proposé par Paul Ekman et Wallace Friesen en 1978 est souvent désigné comme la base sous-jacente de ce type d’applications. Il divise le visage humain en différentes zones d’action auxquelles des émotions sont affectées. Depuis son introduction dans les années 1970, le FACS bénéficie d’une certaine popularité dans les domaines de l’animation par ordinateur, des outils de mesure en publicité, du profilage par la police et du recrutement.
Avec la marchandisation et la catégorisation des émotions, sujet profondément personnel et délicat s’il en est, il est crucial de défier les limites de l’objectivité et les risques de tels systèmes de perception homogénéisés à l’échelle mondiale. Interpréter le monde à travers une vision par ordinateur apparemment objective, c’est mettre en danger les réalités intimes de l’individu.
Les mots « Elephant Juice » sont une mauvaise interprétation courante de « I Love You » par les logiciels de lecture labiale, illustrant ainsi l’étroite marge d’erreur entre le profondément émotionnel et l’absurde poétique.
Vidéo HD, animation 3D, 8’ 45’’, son stéréo, 2020
Recherche, script & animation : Simone C Niquille / Musique: Jeff Witscher (d’après Whitney Houston & Dolly Parton ‘I Will Always Love You’) / Voix off : Kiara K / Stérilisation des émotions vocales : Eric Frye / Script animation FACS : François Zajéga / Avatar : SMPL Body, Max Planck Institute for Intelligent Systems / Bathroom 4 : SceneNet-RGBD, Dyson Robotics Lab à l’Imperial College London / Avec des extraits de la Ryerson Audio Visual Database Of Emotional Speech & Song / Contient des extraits paraphrasés de ‘What Is It Like To Be a Bat?’, un essai de Thomas Nagel, publié en 1974, sur la conscience, les limites de l’objectivité et l’imagination, réinterprété pour l’ère des systèmes de vision par ordinateur / Commande de HeK (House of Electronic Arts Basel) et MU Hybrid Art House avec le soutien de La Becque
Simone C Niquille
Simone C Niquille est une designer et chercheuse basée à Amsterdam. Sa pratique Technoflesh étudie la représentation de l’identité et la numérisation de la biomasse dans l’espace réseauté de l’apparence. Son travail a été exposé internationalement, dont récemment à HeK-Haus der Elektronischen Künste (2020), au Fotomuseum Winterthur (2019) et à la Gaité Lyrique (2019). Elle a publié des articles dans Volume Magazine, AD Architecture et e-flux.
Niquille est directrice de l’information à la Design Academy Eindhoven. Elle a été chercheuse au Nieuwe Instituut Rotterdam en 2016 et contributrice du pavillon néerlandais à la Biennale d’architecture de Venise en 2018. Elle a été récipiendaire du Pax Art Award 2020 et nommée Mellon Researcher au Canadian Centre for Architecture en 2021/22. Actuellement, elle explore les conséquences architecturales et corporelles de la vision par ordinateur, en étudiant les ensembles artificiels de données utilisés à des fins de formation.